Le Paquet législatif européen sur les semi-conducteurs (European Chips Act)

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Entretien avec Luca Bertuzzi (rédacteur technologie chez Euractiv) à propos du Paquet législatif européen sur les semi-conducteurs.

Quel est l’objectif du paquet législatif européen sur les semi-conducteurs (Chips Act)?

À la suite de la pandémie de COVID-19, nous avons fait face à une pénurie mondiale de semi-conducteurs en raison de la demande croissante d’équipements microélectroniques. Ce manque d’approvisionnement a entraîné des conséquences désastreuses sur plusieurs secteurs industriels, retardant par exemple pendant des mois la production automobile. L’Union européenne (UE) est dépendante des puces développées aux Etats-Unis et produites en Asie. C’est pourquoi la Commission européenne a proposé une loi sur les puces afin de renforcer les capacités européennes en matière de conception et de production de semi-conducteurs tout en mettant en place un mécanisme de gestion de crise.

Dans quelle mesure le Chips Act est-il une réaction à la loi américaine sur les semi-conducteurs de 2022?

L’Europe est loin d’être la seule puissance économique à tenter de devenir moins dépendante de l’approvisionnement étranger en semi-conducteurs. Nous avons vu des efforts similaires aux États-Unis et en Chine, qui sont également une conséquence des restrictions à l’exportation instituées par l’administration Trump pour frapper les géants technologiques chinois comme Huawei.

Même la Corée du Sud, qui est déjà un grand fabricant mondial de puces, prévoit d’investir 451 milliards de dollars pour conserver son avantage concurrentiel. Avec autant d’argent mis sur la table, le risque est grand d’assister à une course aux subventions pour attirer chez soi les fabricants de puces.

Par rapport à l’Asie ou aux Etats-Unis, l’industrie européenne des puces est relativement petite. Dans quelle mesure le Chips Act crée-t-il les conditions nécessaires pour que l’Europe reste à la pointe de la technologie mondiale?

L’Europe a un long chemin à parcourir pour rattraper l’avance technologique des puces haut de gamme. Ces technologies hautement sophistiquées sont extrêmement coûteuses en capitaux et leur développement prend des décennies. Même les ressources financières des plus grandes économies de l’UE ne sont pas à la hauteur des concurrents internationaux. Dans le même temps, l’UE pourrait tirer parti de ses points forts, notamment de sa communauté de recherche et de ses fabricants de machines de production, tous deux au premier plan au niveau mondial. La coopération internationale avec des pays partageant les mêmes valeurs que l’UE pourrait également contribuer à atténuer le risque de cette dépendance stratégique.

Que répondez-vous à l’argument selon lequel le programme de subventions à l’industrie des puces électroniques ne correspond pas aux principes fondamentaux du marché unique de l’UE?

Il existe une tension sous-jacente entre une politique industrielle active et les principes de marché ouvert qui sous-tendent le marché unique européen. La loi sur les puces fournit un cadre permettant aux Etats membres de proposer des aides d’Etat pour soutenir la production nationale, mais seuls les pays de l’UE aux moyens financiers plus conséquents sont susceptibles d’en voir les avantages. En effet, les Etats membres plus petits n’ont aucun intérêt à acheter des technologies françaises ou allemandes si elles ne sont pas les meilleures et les plus abordables. Ils y voient également un risque de remplacer les dépendances externes par des dépendances intracommunautaires. Il est peu probable que cette tension disparaisse de sitôt.

L’UE dispose de règles restrictives en matière d’aides d’Etat. Dans quelle mesure le Chips Act les respecte-elle?

Les traités de l’UE autorisent un assouplissement des règles en matière d’aides d’Etat pour les subventions publiques jugées stratégiques, créant ainsi la condition d’un investissement qui n’aurait pas eu lieu autrement. Le Chips Act fournit un cadre permettant à la Commission de procéder à une évaluation au cas par cas en fonction de critères spécifiques.

À cet égard, le Chips Act établit une nouvelle catégorie d’infrastructures, connue sous le nom de «mega fabs». Il s’agit de sites de conception ou de production qui contribuent à faire progresser de manière significative le statut technologique de l’Europe. La durabilité de l’investissement est un autre facteur important pris en considération.

Photo luca bertuzzi
24.11.2022

Luca Bertuzzi

Rédacteur technologie chez EURACTIV | Twitter: @BertuzLuca