La législation européenne sur la liberté des médias

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Entretien avec Bertil Cottier, professeur honoraire en droit des médias, membre de la Commission fédérale des médias et président de Reporters sans frontières Suisse.

Quelle est la situation actuelle du paysage médiatique dans l’Union européenne (UE)?

Il est fragmenté. D’un côté, il y a des Etats membres dans lesquels le pluralisme et l’indépendance des médias ne sont pas seulement des slogans creux mais des réalités; de l’autre, il y a les pays où les autorités (ou de puissants acteurs privés) cherchent à contrôler la presse pour réduire au silence les voix critiques. Entre deux, il y a les Etats qui certes reconnaissent pleinement la liberté de l’information, mais où de forts mouvements de concentration des médias nuisent à la diversité.

Le 16 septembre, la Commission européenne a proposé une nouvelle loi sur la liberté des médias («European Media Freedom Act»). Quelle est votre position sur cette proposition?

Cette initiative est plus qu’opportune : la Commission ne pouvait plus laisser la liberté de la presse se dégrader sans réagir. Les mesures proposées pour restaurer l’indépendance éditoriale des rédactions, lutter contre la désinformation ou encore assurer la transparence des propriétaires des médias privés sont donc bienvenues. On peut toutefois douter qu’elles suffiront à contrer les nombreuses tentatives de manipulation de l’information qui proviennent de pays extérieurs à l’UE.

Quelles améliorations concrètes peut-on attendre en matière de liberté des médias dans les Etats membres?

Le débat public, indispensable en démocratie, devrait être le premier bénéficiaire des améliorations prévues par ce projet de réglementation. S’il est finalement adopté, ce texte devrait rehausser grandement la qualité de l’information à disposition des citoyen·nes des pays membres. Ce d’autant que l’impératif de fiabilité, qui est au cœur du projet, ne devra pas seulement être respecté par la presse écrite, la radio et la télévision, mais aussi, voire surtout, par les plateformes numériques.

Le contrôle notable des médias par certains gouvernements, par exemple en Hongrie, ont probablement motivé cette proposition de loi. Celle-ci est-elle la mesure appropriée pour faire face à de telles situations?

Oui et non. Les mesures proposées me semblent en effet plus propres à éviter que la situation ne se péjore dans les pays qui, à ce jour, ne font face qu’à des dérives ponctuelles. Pour la Hongrie, ou encore la Pologne, où l’illibéralisme est devenu une marque de fabrique, le mal est devenu structurel. Ainsi, il faudra plus que ce projet de règlement pour mettre fin à l’emprise de l’Etat sur les médias et rétablir une liberté de l’information digne de ce nom.

Voyez-vous d’autres possibilités d’amélioration pour la liberté des médias dans l’UE?

Dans toujours plus de pays membres, les journalistes subissent des menaces, voire des agressions, de la part de ceux que leurs investigations dérangent. Autre moyen d’intimidation : les procès abusifs – car infondés – pour diffamation, calomnie ou violation de la vie privée. Tant la sécurité des journalistes que les procès dit baillons préoccupent grandement la Commission, laquelle, l’année dernière, a proposé diverses mesures pour permettre à la presse de tenir son rôle de chien de garde de la société.

Photo Bertil Cottier
27.10.2022

Bertil Cottier

Professeur honoraire en droit des médias, membre de la Commission fédérale des médias et président de Reporters sans frontières Suisse