L’UE et la question des salaires minimaux

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Sans tambour ni trompette, les ministres du Conseil de l’Union européenne (UE) ont apposé leur sceau sur la directive de l’Union européenne sur les salaires minimaux le 4 octobre dernier. Les Etats membres de l’UE ont ainsi convenu d’un délai de deux ans au cours duquel ils doivent mettre en œuvre cette directive. Le Parlement européen avait déjà approuvé la proposition en septembre, après que la présidence française du Conseil a œuvré avec succès, au cours du premier semestre 2022, à rédiger une version de la directive acceptable à la fois pour le Parlement et pour une grande
majorité des Etats membres.

Comme toute directive passée à la moulinette des compromis européens, la directive sur les salaires minimaux ne constitue pas une révolution. Ainsi, elle n’introduit pas de salaire minimum à l’échelle de l’UE et les Etats membres qui n’ont pas de salaire minimum légal (Suède, Danemark, Finlande, Autriche, Chypre et Italie) ne sont pas tenus d’en introduire un.

La «Directive relative à des salaires minimaux adéquats», de son nom officiel, incite les Etats membres de l’UE disposant d’un salaire minimum légal à examiner régulièrement si ces derniers sont suffisants. La directive indique comme valeur de référence pour un salaire minimum adéquat un seuil de 60% du salaire médian ou de 50% du salaire moyen d’un Etat membre. Les salaires minimaux dans la plupart des pays de l’UE sont actuellement inférieurs à ces valeurs et devraient donc être augmentés de manière substantielle dans les années à venir.

Toutefois, ces 60% et 50% restent des valeurs indicatives – la Commission européenne ne pourra pas les imposer. Malgré cela, la directive, qui a été combattue par le patronat, constitue une petite victoire pour les syndicats. En effet, elle renforce leur rôle au sein des Etats membres. Ainsi, ils doivent par exemple être impliqués dans l‘examen des salaires minimaux susmentionnés.

Encore plus important pour les syndicats: le renforcement des négociations collectives entre les organisations patronales et les syndicats. Selon la nouvelle directive, les Etats de l’UE doivent, en effet, définir des plans d’action pour promouvoir cette négociation collective si moins de 80% des employé∙es du pays bénéficient d’une convention collective de travail (CCT). A titre de comparaison, en Suisse, la couverture des CCT était d’environ 50% en 2018. De nombreux pays de l’UE se situent également bien en dessous des 80% visés – par exemple l’Allemagne et la plupart des Etats membres en Europe centrale et orientale.

Le seuil de 80% a été choisi parce qu’il est inférieur à la couverture des CCT de la Suède et du Danemark. Ces deux Etats traditionnellement sociaux-démocrates se sont opposés avec véhémence à la directive sur les salaires minimaux, car les conditions de travail dans ces pays sont presque exclusivement négociées entre les partenaires sociaux. Toute ingérence de l’Etat ou même de l’UE est considérée comme un danger pour le modèle scandinave. Le seuil de 80% de la directive garantit qu’elle n’exercera pratiquement aucune influence dans ces pays, préservant le modèle prospère du Danemark et de la Suède.

Outre les dispositions relatives au salaire minimum et à la promotion de la négociation collective, la directive stipule également que les Etats membres doivent garantir aux travailleuses et travailleurs un accès effectif à la négociation collective et à la protection qu’offre le salaire minimum. Dans l’ensemble, la directive renforce les syndicats européens, tout en laissant aux Etats membres une grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre de ses dispositions. Après une décennie au cours de laquelle l’UE a été marquée par une politique d’austérité hostile aux travailleuses et travailleurs, c’est un acquis bienvenu pour les forces de gauche dans l’UE.

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10.11.2022

János Allenbach-Ammann<br />

JÁNOS ALLENBACH-AMMANN est journaliste économique chez EURACTIV, un magazine en ligne basé à Bruxelles et axé sur la politique européenne. A ce titre, il assure le suivi des politiques commerciales, financières et sociales de l’Union européenne et les commente dans une newsletter hebdomadaire intitulée «Economy Brief ». En outre, il écrit occasionnellement pour les médias suisses, anime des tables rondes sur des thèmes de politique européenne et rédige le «Hauptstadt-Bericht », publication à l’intention d'un public suisse à propos des derniers développements de la politique européenne.
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