Aujourd’hui, il apparaît clairement que cette décision a constitué une faute historique. Elle n’a résolu aucun des problèmes existants, ni dans les tensions intérieures, ni dans les relations extérieures. Au contraire, elle les a aggravés, tout en créant des difficultés supplémentaires.
Les premières victimes ont été les étudiant∙es, les chercheuses et chercheurs, les écoles et les universités qui ont été écarté∙es des programmes européens. Les suivantes ont été les Medtech, privées de la reconnaissance mutuelle des normes techniques qui n’a pas été renouvelée. Des secteurs toujours plus nombreux de l’économie verront leur accès au marché européen péjoré. En plus d’une érosion inéluctable des accords bilatéraux sectoriels, l’abandon de l’accord institutionnel entraîne une lente marginalisation de la Suisse. Dans toute une série de domaines, elle sera bientôt décrochée, oubliée, hors-jeu.
La crise européenne de la Suisse est structurelle, mais aussi culturelle. Alors que le souverainisme progressait dans toutes les couches de la société, la connaissance de l’Union européenne, de ses politiques et de ses fonctionnements n’a cessé de faiblir. Aujourd’hui, trente ans après le refus de l’Espace économique européen (EEE), la Suisse a perdu ses repères. Egarée, divisée, aveuglée par les préjugés, elle ne semble plus en mesure de conduire un débat européen rationnel.
Ce naufrage est d’autant plus grave que l’Ukraine a été attaquée par une Russie impérialiste qui rêve de détruire les valeurs européennes. Dans ce contexte tragique, la passivité de la Suisse n’est plus acceptable. Si le rejet de l’accord institutionnel était une faute, l’incapacité de la réparer alors que la guerre fait rage devient indigne. Reprendre les sanctions contre la Russie n’est pas suffisant. La Suisse doit sortir de son isolement pour défendre ses intérêts, mais aussi pour affirmer sa solidarité avec une UE protégeant la paix et la démocratie.
Le 26 mai 2021, la barque Suisse a tiré au canon dans sa propre coque. En cas d’inaction, le naufrage est programmé. Autrement dit, il est urgent de se rapprocher de l’UE et de reprendre le chemin de l’intégration. Les routes sont limitées. L’adhésion est hélas aujourd’hui inconcevable, bien qu’elle reste la meilleure solution pour une Suisse au cœur de l’Europe. L’invention d’un nouveau traité miraculeux plus favorable paraît impossible. Le plus simple serait donc que le Conseil fédéral repêche l’accord rejeté, moyennant quelques précisions lui permettant de sauver la face. Dans l’immédiat, ce retour à la sagesse paraît difficile, tant le récit d’un texte inacceptable a été propagé. Enfin, il ne faut pas oublier l’EEE qui pourrait être relancé. Il règlerait de nombreux problèmes, tout en offrant peut-être un compromis sensé aux partisan∙es de l’adhésion comme à ceux qui ne la voudront jamais.
L’essentiel est de sortir du déni pour entrer dans un débat sans tabou. Procrastiner une nouvelle décennie sur le dos de la jeunesse et des forces vives du pays n’est pas imaginable. Quand la barque tangue et menace de couler, il faut empoigner le gouvernail et changer de cap.